Block 108 bis : 21

 


 

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« - Je ne couche pas avec le personnel ! Voila la raison ! » s'offusque Sidonie face à Horst, Gena et Moïse au réveil. Les trois ont décidé d'obtenir une explication de la jeune femme sur ses relations avec les deux jeunes, mineurs après tout. « Par contre, quand je rencontre de beaux jeunes hommes sexuellement majeurs et consentants avec lesquelles je sens une profonde affinité, je ne vois pas pourquoi je n'approfondirais pas cette relation. Vous n'avez donc jamais aucun besoin sexuel, tous les trois ? Le sexe, c'est la vie, non ? »


 

Et sur ces fortes paroles, Sidonie plante là ses accompagnateurs-gardes du corps et rejoint ses nouveaux compagnons, soit à peu près la moitié des ados, avec lesquels débute une discussion qui tourne autour des modes, célébrités diverses et autres sujets de conversation de haute tenue.


 

- Désespérant. » conclut Gena en se retournant vers Horst et Moïse. « Ceci dit, c'est une affaire entre notre princesse et les parents des jeunes. Notre boulot à nous, c'est maintenant d'amener tout le monde à bon port. »


 

- Point positif, » poursuit Horst, « ils savent vivre dans la forêt. Ils ont déjà tenu deux jours, ils ont de l'endurance, savent chasser et faire du feu. De notre côté nous disposons des réserves de l'antigrav en rations de nourriture et fruits séchés, j'ai compté de quoi donner deux rations et deux sachets par personne. Ca permet de ne chercher de la nourriture que le soir. Toujours autant de temps de gagné. »


 

- Point négatif, » l'interrompt Moïse, « je suis incapable de marcher et ça m'étonnerait que l'un quelconque d'entre vous puisse me porter sur le dos jusqu'au bout. »


 

- J'ai peut-être une idée, » avance Horst doucement, « mais je préférerais qu'on discute un peu avec les enfants. Je n'apprécie pas d'être mené en bateau, et je suis sûr qu'ils nous cachent bien des choses à propos de ces fameux prêtres que soit disant ils essaient de rejoindre.


 


 

En tête marchait Frère Norman. Grand, athlétique, cheveux courts bien sur, il était sobrement vêtu d'un chaud pull à col roulé renforcé aux coude et aux épaules, d'un pantalon de toile sombre et solide sur des chaussures de marche de qualité. Comme ses frères, c'était un redoutable marcheur, un adepte des longues randonnées dans la nature que le Créateur avait donné à l'homme.


 

Derrière lui venait Frère Freddy. Un peu plus petit, toujours un peu voûté et penché en avant, il était habillé de son sempiternel pull à rayures horizontales noires et rouges et comme les autres d'un pantalon de toile sombre et solide sur des chaussures de marche noires bien robustes. Un chapeau mou lui dissimulait quelque peu le visage. Victime d'un grave accident il y a de nombreuses années, celui qui n'était pas encore Frère Freddy y avait cru mourir. Par la grâce du Créateur, il avait survécu et n'avait jamais voulu bénéficier de la chirurgie plastique qui lui aurait permis de retrouver son visage d'avant. « Je tiens à me souvenir » disait-il. Il le savait, cette face brûlée, ravagée, surprenait, choquait même et quelquefois hantait les rêves de ceux qui la contemplait. « Le Créateur permettra à ceux qui lui ouvrent leur cœur de voir au delà des apparences et de contempler mon vrai visage » disait-il également.


 

A côté marchait Frère Dext. Jeune, athlétique, souvent souriant mais rarement rieur, il avait rejoint la Nouvelle Eglise Créationniste Réformée Oecuménique en cherchant une réponse à ses interrogations. Médecin légiste, il ne supportait plus de contempler les corps inertes et sans vie brutalement et injustement arrachés au Créateur. L'Eglise lui avait permis d'accepter cela, lui avait donné des réponses. Converti, il était depuis lors médecin-légiste et Frère, menant une double vie qui l'équilibrait.


 

Enfin, fermant la marche, Père Hannibal. Le plus âgé des quatre, c'était aussi en quelque sorte leur leader. Charismatique bien que physiquement commun, il irradiait de lui une énergie vitale qui transperçait ses interlocuteurs. Souvent fascinés, ils ne pouvaient détacher leurs sens de cet homme cultivé, supérieurement intelligent et fascinant. Même s'il était le plus ancien du groupe, il soutenait toujours une bonne cadence. Echafaudant toujours mille plans dans son cerveau fécond, il aimait à penser avoir toujours une réponse aux situations. Redoutable joueur d'échec, il raisonnait en terme de coup d'avance.


 

Et c'est bien ce qui le poussait sans arrêt depuis trois jours. Sans fin il repassait dans son esprit le film des événements. Comment n'avait-il pas décelé les signes avant-coureurs de la fuite des enfants ? Il avait parfaitement identifié Zack et Jon comme les meneurs – il y en avait chaque année-, mais un facteur devait lui avoir échappé. Zack et Jon n'auraient jamais pu attirer ainsi à eux l'ensemble du groupe. Zack et Jon, quoi qu'ils puissent penser, n'avaient pas l'intelligence de mener à bien un plan de cette envergure.

Ce n'était pas la première fois que des membres du groupe tentaient de s'échapper pour se plaindre à leurs parents, mais toujours ils avaient été repris. Toujours les prêtres avaient pu mener à bien les desseins du Créateur. Former ces jeunes consciences, forger ces jeunes corps. La souffrance physique n'était que le chemin par lequel le message parvenait aux âmes. La souffrance physique n'était que temporaire, les drogues médicinales se chargeaient de l'estomper. Et ensuite, comme lorsque l'on grave une roche, le message du Créateur était imprimé à jamais dans ces jeunes âmes.


 

Père Hannibal se demandait si la maladie dont souffrait Frère Norman n'avait pas joué un rôle dans l'évasion des enfants. C'est lui qui était de garde dans les heures de la fuite. Le pauvre était sujet à des crises de schizophrénie depuis la mort de sa mère. L'enseignement du Créateur lui permettait de surmonter ces passages, mais peut-être que cette nuit-là ?...


 

Toujours est-il que Frère Norman s'était endormi, que tous les quatre dormaient d'un sommeil profond quand les enfants avaient quitté le camp puis franchi le pont de bois qui enjambait un profond canyon. Les enfants n'avaient emporté que le minimum d'affaires, ils craignaient visiblement que l'un des prêtres ne se réveille.

Hannibal savait que les enfants, si aucun ne se blessait ou n'était victime d'une bête sauvage, sauraient se débrouiller dans la profonde forêt. Après tout, cela faisait maintenant une ou plusieurs années que les quatre prêtres les formaient à être autonomes, leur apprenaient à chasser, pêcher, faire du feu ou un campement, bref à survivre dans la nature, comme le souhaitait le Créateur dans ses textes les plus secrets, ceux que seuls connaissaient les initiés.


 

Les quatre prêtres faisaient partie de ceux qui savaient que le Créateur avait prévu de détruire le monde qui s'était écarté de Son enseignement. Un jour prochain viendrait où Sa volonté se déchaînerait, où Sa puissance balaierait ce monde devenu impie. Alors seuls survivraient ceux qui auraient reçu l'enseignement.


 

C'est pour cela que les prêtres de la NECRO accueillaient à bras ouverts ces jeunes, membres des diverses congrégations telle l'Eglise du 8eme Jour dont les dirigeants avaient su recevoir le message du Créateur.

Les deux semaines passées dans la forêt n'étaient qu'une partie du programme. Forger le corps, y compris par les coups de badines, préparaient l'enfant à obéir aveuglément. Les quatre messes quotidiennes permettaient de dispenser l'enseignement du Créateur en choisissant judicieusement parmi les textes des livres sacrés. Le sang du Créateur qui était avalé lors des messes contenait quelques extraits judicieusement choisis de pharmacopées ancestrales qui fixaient les textes dans les esprits. Et lorsque les enfants étaient, littéralement, imprégnés des textes sacrés, ils étaient convaincus, ils savaient au plus profond d'eux, que les prêtres avaient eu raison d'agir comme ils l'avaient fait et ne parlaient jamais à quiconque de ce qu'ils avaient pu détester à un moment. Et enfin durant les trois derniers jours du programme d'autres drogues, médicinales cette fois, effaçaient toutes traces sur les corps.


 


 

- Voila. Grosso modo on vous a expliqué comment se déroulent les journées. » conclut Zack devant Gena, Horst et Moïse. « Mais Jon et moi on voit la vie différemment. Ça fait quatre ans qu'on subit ce bourrage de crâne. Ce lessivage. Quatre ans qu'on a des souvenirs à la fois précis et flous de ces randonnées. On a essayé plusieurs fois d'en parler à nos parents, mais ils ne veulent pas entendre. Complètement sous la coupe du pasteur. » Il secoue la tête, désolé. « Alors cette année on a décidé qu'on reviendrait avec les marques sur le corps. On s'est montré insolent exprès pour recevoir les coups, plus que notre compte. Et on a discuté avec les autres, ça n'a pas été facile mais on les a convaincu qu'il fallait faire quelque chose. »


 

- Les années passées, » continue Jon, « on s'est bien rendu compte que le lavage de cerveau commençait trois jours avant la fin. Jusque-là c'est par la persuasion que les prêtres tiennent le groupe, ensuite ils doivent nous faire boire des substances parce que plus personne ne se révolte et c'est à peine si on se souvient des coups de cravache. »


 

- Donc, » reprend Zack, « cette année on avait amené du somnifère, bien planqué. On l'a utilisé au bon moment et on est tous partis. Après, on a saboté le pont sur le canyon, ça nous donnait normalement l'avance suffisante pour arriver au point de rapatriement. Mais c'est qu'avec les petits on n'avance pas très vite. On n'a pas la même façon de faire que les prêtres, on a du mal à les faire marcher au même rythme. »


 

- Et puis, » poursuit Zack en montrant un groupe d'enfants qui communient, « il y a Damien. » Un enfant est désigné. Quinze ans, la morgue aristocratique, c'est lui qui dirige la messe. « Une vraie plaie, ce Damien. Presque une malédiction. Il nous a beaucoup aidé, mais c'est un cul-béni de première. Pas moyen de couper aux quatre messes chaque jour. Il est contre les méthodes des prêtres, mais il dit qu'ils se sont égarés, il leur trouve des excuses pour leur comportement, et résultat, il faut prier le Créateur pour le salut des âme de ces enfoirés... »


 

La messe se terminant, les ados s'équipent, prêts à marcher, chargés des maigres provisions de l'antigrav, lestés de tous les récipients qu'il a été possible de remplir d'eau potable.


 

- Et moi ? » demande alors Moïse. « Je rampe ? Je marche sur les mains ? C'est quoi ta solution miracle, Horst ?


 

- Ça. » annonce fièrement le soldat devant le blessé qui écarquille les yeux puis se révolte. « Un sac à cadavre ? Hors de question ! Jamais ! Tu as perdu la tête ou quoi ? »


 

Dix minutes plus tard, le groupe s'ébranle. Et Moïse est dans le sac. Comme Horst l'a expliqué, un sac à cadavre c'est solide, ça ne se déchire pas, ça possède de nombreuses poignées latérales dans lesquelles ont pu être passés deux solides branches, une de chaque côté, fermement arrimées sur les épaules de huit ados qui se répartissent la charge. « Il faut être réaliste, » a dit Gena, « on ne peut pas faire mieux. »


 

Les heures passent, monotones. Les enfants ont de l'endurance, aucun ne se plaint. Horst et Gena discutent avec l'un ou l'autre, l'histoire de Zack et Jon est confirmée par tous.


 

Arrive l'heure de la pause de midi, du repas-rations. Damien rassemble d'abord environ la moitié des ados, et mène la cérémonie comme s'il avait été ordonné prêtre depuis toujours. Les adultes sont troublés par le magnétisme qui se dégage de l'adolescent. Heureusement qu'il est du côté de Zack et Jon.


 

Pendant qu'il grignote, Horst reste silencieux, l'air absent. Il n'a pas encore partagé avec ses compagnons ce qu'il a appris dans la matinée, en discutant avec les ados. Sans le montrer, il fixe l'un des enfant. Mince, blond, tonique, il a 14 ans et s'appelle Rida. Et c'est le fils de Bjorn Ulvaeus. Il y a sûrement quelque chose à en tirer. « J'y penserais en marchant » se dit Horst en se levant. « En route, la troupe ! » clame-t-il. "Prochain arrêt, ce soir !"


 

Et le groupe reprend sa marche. Laissant une trace bien visible. Quatorze ados, trois adultes et un sac à cadavre, ça laisse obligatoirement une piste facile à suivre.


 


 

Ce que se disent également les quatre prêtres qui viennent d'arriver à l'antigrav.


 

Commentaires

Par bardablog le 12/12/2011 à 08:31

Cool... Vivement la suite....

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