Nasty, Maël & Bruno : 17

 

CHAPITRE XVII

 

 

 

 

 

- Nasstasia ?”

- Oui Xia ?”

Dans la cache souterraine, la jeune fille vient de se rhabiller. Dissimulée derrière le "projecteur à poisson" se trouvait l'entrée d'un boyau inondé menant à une pièce-sas à la pression du fond de la piscine. Ensuite, un sas manuel donnait dans une vaste pièce chichement éclairée d'un lumignon à lueur éternelle. Dans cet endroit, une table robuste, un lit sommaire, quelques coffres, et surtout l'entrée d'un couloir orienté dans la direction de la jungle. Bien visible, un tableau de commandes dont un bouton porte la mention "Raccordement à Xia - N'opérer qu'avec certitude".

Après s'être séché à l'aide d'une serviette disposée en évidence, Nasty avait enfilé un T-shirt noir, un short sombre, et une paire de chaussures de marche souples. Le tout à sa taille, à coté de deux ensembles similaires en deux tailles différentes. Il semble que le propriétaire de la demeure soit du genre prévoyant.

Ensuite, elle avait sans guère d'hésitation raccordé le circuit de la cache à Xia, qui lui parle maintenant.

- Voila la situation. Bruno et Maël sont vivants, mais blessés. Je n'ai plus aucun capteurs dans leur zone, sinon un relais audio vers Bruno. Notre assaillant -j'ai maintenant la quasi-certitude qu'il n'y en n'a qu'un- est toujours inerte après que sa grenade ait explosé près de lui. Bruno demande à ce que tu ailles vérifier, mais sans prendre aucun risque. D'accord ?”

- Sans blague ?! Tu me demandes à moi si j'suis prête à exploser le gus qui vient d'nous foutre c'te zone ?”

- Attention Nasstasia. Cet individu est dangereux et armé. Tu trouveras à ta gauche un coffret contenant diverses armes. Prends celles que tu juges utiles.”

 

Armée d'un fin stylet de lancer et d'un couteau de combat à la noire lame de carbone renforcée, l'eurasienne quitte la cache. A la sortie du souterrain se trouvent trois minces combinés émetteur-récepteurs, elle en fixe un sur son visage. Débouchant en pleine jungle dans un ensemble végétal touffu, elle suit les indications de Xia.

Dix minutes de marche silencieuse. Elle aperçoit enfin l'assaillant qui s'extirpe d'une combinaison maculée de rouge sang - et elle rate un battement de cœur avant d'exhiber ses canines dans un sourire affamé-.

- Jaszek ! C'est c't'enflure de crevure de serpent à sang-froid… J'vais m'le faire… Oh oui j'vais m'le faire…”

 

- Yiahhh !!!”

Pied gauche en avant, elle bondit sur l'homme qui vient de se défaire de sa combinaison camo définitivement hors d'usage.

Cri. Mouvement dans la périphérie de la vision. Détournement de torse.

Nasty frappe -mal. Khal a pivoté.

Les deux combattant boulent dans la jungle sanglante et se relèvent parmi les végétaux déchiquetés.

Chacun jauge l'autre.

Nasty offre sa peau nue, sans protection. Elle tient une lame de lancer dans la main droite, une longue lame à trancher dans la gauche. Elle ne paraît pas blessée.

Khal porte un treillis près du corps, renforcé sur les avants-bras, solide mais éraflé. Divers instruments électroniques se devinent dans plusieurs poches externes. Son visage a pris un coup de chaud, du sang coule encore des déchirures du treillis. Le G-4 est par terre, à un mètre. Il sort lentement un couteau de combat de son étui et se met en position, visage froid et fermé.

 

Nasty prend l'initiative. Bond soudain en avant et sur la gauche, lame brandie, qui masque le lancement du stylet. Jaszek bouge, son avant-bras protégé intercepte la lame qui va se perdre sur le sol. Il tend le poignard là où arrive Nasty. Dérobade du corps. Elle feinte. Khal la poursuit. Large moulinet haut. L'eurasienne se laisse tomber et rebondit sur le coté. Sa lame bouge et vise la jambe de l'autre. Il se détend, ses jambes se lèvent au dessus de la lame, sa main libre prend appui sur le sol, son corps revient en position en un saut de carpe, son poignard vole bas, vers le bras armé de son adversaire. Touché. Du sang gicle. Nasty fait la grimace, se redresse d'un bond, change de main. Jaszek passe la garde, touche à nouveau, sous les côtes. Nasty exhale, frappe violemment vers le bas du pommeau de son couteau sur la main de l'homme. Jaszek manque sa nouvelle frappe. Il replace sa garde, frappe bas du pied droit vers les jambes de l'eurasienne. Il touche. Elle glisse sur la peinture répandue mais évite d'un roulé-boulé la lame descendante. Les deux adversaires reprennent position à une longueur de couteau l'un de l'autre. Nasty saigne en deux endroits, un bleu apparaît déjà là où le pied de Jaszek a touché. Ses yeux étincellent.

 

Une explosion déchiquète un tronc au dessus de Jaszek. Puis une deuxième. Il bondit en arrière, dans les buissons, hors de portée de l'eurasienne.

- Nasty !” La voix amplifiée de Bruno retentit. “Dégage !”

La jeune fille se glisse sur le coté. Trois balles sifflent à ses oreilles avant d'exploser dans la jungle. Puis trois autres. Elle sort de la lisière végétale, les yeux toujours rivés dans la masse verte et rouge. On entend faiblement l'écho d'une course qui s'affaiblit dans les profondeurs. Khal Jaszek fuit.

 

 

- Jaszek ! Encore Jaszek !” Nasty fulmine et tempête, assise sur le siège de l'infirmerie de la demeure de Bruno. Des capteurs disposés sur elle en plusieurs endroits renseignent Xia et l'autodoc sur son état. Des palpeurs et mini-manipulateurs évoluent en un lent ballet autour de ses deux blessures, son avant-bras droit et le coté gauche de son abdomen sous les côtes. La peau et les muscles tranchés net par l'adversaire sont lentement reconstitués par l'organisme sous l'effet accélérateur des hormones et protéines injectés, sous le contrôle strict du médecin robotisé. Autour de la jambe droite, un pansement souple enserre le mollet, garni de diffuseurs médicaux chargés de faire disparaître l'hématome sérieux causé par le coup de son adversaire. Deux heures pour tout réparer, une journée pour consolider, tel est le diagnostic de l'ordinateur médical. Les blessures étaient nettes, et pas trop profondes.

 

- Oui. Cette fois, c'est la guerre. Nous avons eu de la chance de nous en sortir aussi bien.” La voix de Bruno est calme, détachée. Il est semi-allongé sur une couche ergonomique, l'épaule et le bras gauche disposés sur un champ opératoire léger. Une ligne de fines aiguilles anesthésiantes sépare la partie opérée du reste de son organisme. Pendant qu'il parle, des manipulateurs et instruments chirurgicaux miniaturisés nettoient les blessures du bras, éliminent les débris organiques déchiquetés, insèrent de nouveaux fragments d'os artificiel qui s'incorporent à l'humérus traversé par la rafale du G-4. Ensuite, des cellules indifférenciées cultivées ici à partir de son ADN sont diffusées sur un fin treillis neutre et souple posé selon les lignes de force des muscles et tissus. Il servira de nourriture directement assimilable, guide auto-dégradable qui assure le maintien des nouvelles fibres et cellules.

Pour finir, les instruments de l'autodoc posent une fine pellicule translucide de plastipeau, qui servira de barrière d'étanchéité entre la zone en reconstruction et l'extérieur porteur de germes multiples. Une dernière enveloppe semi-rigide enveloppe alors le tout, de l'épaule au coude gauche de Bruno, afin d'éviter tout contact blessant.

Il aura fallu trois heures au mini-bloc chirurgical pour reconstruire quasiment le tiers du bras et permettre à son porteur de mener à nouveau une activité quasi-normale.

 

Pendant ce temps, Maël n'a pas bougé, allongé doucement dans un caisson stérile en pleine activité. L'explosion de la première grenade a failli lui être fatal. De multiples micro-débris synthétiques issus de l'enveloppe de la grenade se sont incrustés dans ses chairs, traversant la robuste combinaison kaléidoscopique. Aucun n'a été immédiatement fatal, aucun n'a perforé d'organe vital, merci la protection martienne. Plongé dans un lourd coma, il a été transporté sur une civière par un robot jusqu'au caisson de survie. A l'intérieur, des diffuseurs nourrissent et oxygènent ses tissus. Une fois l'organisme stabilisé, Xia et l'autodoc ont lancé à l'assaut du corps inerte des myriades de nano-machines. D'abord agglutinées sur le blessé telles des larves noires grouillantes, elles s'y sont lentement enfoncées. Leur seule et unique tâche est d'absorber toute matière non-organique : fibres fondues et échardes synthétiques vont être décomposées en leurs molécules de base, pour se voir confiées au réseau sanguin du blessé. Transportées par voie naturelle, les molécules artificielles seront interceptées par un filtre placé par l'autodoc en amont des reins, et sorties de l'organisme.

Xia estime à huit heure le temps nécessaire à l'élimination complète des éléments intrus -nano-machines incluses-. Ensuite commencera la phase de reconstruction -dix heures seulement, si tout va bien-.

 

Le raid de Jaszek, même incomplet, a laissé de multiples traces sur la demeure. Les robots de maintenance s'affairent à les éliminer et reconstruire au mieux à partir des éléments disponibles une habitation sure et saine.

 

Bruno et Xia reprennent maintenant les enregistrements archivés des capteurs du domaine.

- Rien ! Rien de rien ! Jaszek est passé à travers tous les capteurs, sans qu'on ne voie rien ! Maël avait raison, il est temps de remettre tout ça à jour !”

Pour la première fois sans doute, Nasty voit Bruno perdre son calme. Il a été mis en danger dans sa demeure même, et ça le marque. A coté d’eux, les restes de l’équipement de l’intrus. Top de la technologie portable, contre “matériel performant mais pas au top”, comme l’avait décrit Maël.

 

- Voila. Ce n'est qu'à partir de son coup de feu que Xia le localise.” Arrêt de l'holo sur de courtes flammes sortant d'un court canon qui se perd dans un amas vert. “Heureusement que j'ai… senti quelque chose. L'éclat des flammes sans doute. Si je n'avais pas reculé, il me touchait en pleine poitrine. Là c'était fini. Maël y passait, et tu te serais retrouvée toute seule. Pas joué d'avance…”

- Ceci dit… bravo Xia. Les défenses ont fonctionné au quart de poil, instantanément. Si tu ne l'avais pas marqué à la peinture rouge, et si la deuxième grenade n'avait pas été interceptée en plein vol…”

- Le mérite en revient aussi à Maël.” La voix de l'ordinateur est toujours égale à elle-même. “Les optimisations des jours passés ont supprimé des intermédiaires et amélioré le temps de réponse de mes systèmes.”

 

- Bon… Mais cette maison n'est plus sure. Je ne sais pas encore comment Jaszek nous a retrouvé ici, mais… on s'en va. Xia, déménagement. On part vers la Méditerranée. On bouge dès que Maël est transportable. O.K. ?”

- O.K. Bruno. Méditerranée, dès que Maël le peut.”

 

Voila pourquoi le lendemain soir Bruno, Nasty et quelques containers individuels -dont un caisson médical occupé- se retrouvent sur une piste de l'aéroport transatlantique de la ville argentine de Montevideo. Trente-six heures auront été nécessaires pour passer avec le convertible de Bruno des hauteurs péruviennes d'Orellana à La Paz, puis de La Paz à Montevideo par un transport mixte fret-passagers régulier.

 

- Ça-y-est !” Bruno relève la tête de son écran de communication pour s'adresser à Nasty. Autour d'eux s'estompent les dernières secousses du décollage. Le lourd train d'atterrissage s'est escamoté, les indicateurs lumineux autorisent les passagers à se déplacer. En plus d'eux, une cinquantaine de passagers et une centaine de tonnes de fret ont embarqués pour la traversée vers Cape Town, que l'ekranoplane à effet de surface rejoindra en neuf heures. De là, remontée pour Bruno, Nasty et leurs bagages vers Alger, dans la lointaine périphérie de laquelle se tient la demeure méditerranéenne du sieur Massimilio -Max- Rossini.

 

Pour l'heure, Bruno interpelle Nasty assise près de lui dans le large fuselage.

-Ça y est. Je sais comment Jaszek est arrivé jusqu'à nous. Mon ex-employeur. Chalk l'a "persuadé" de lui donner ce qu'il savait sur moi, et il est finalement remonté jusqu'à cette adresse. Beau travail, je dois l'admettre. Mais je pense que ni mes autres adresses ni mes autres identités ne courent de risques. Donc, poursuite du plan.”

-On laisse toujours Maël dans l'caisson jusqu'à ta baraque ?”

-Oui. Ça ne peux que faire du bien à son organisme d'être sous contrôle médical pendant une journée de plus. Nous vérifierons simplement les indicateurs à Cape Town.”

 

Aucune alerte ne s'étant déclenchée, le duo et ses centaines de kilos de bagage franchissent le portail ouvrant le haut mur blanc crénelé de la villa blottie sur le sommet de la falaise entre Alger et la petite ville de Cherchell. Max Rossi et sa nouvelle petite amie prennent possession de la demeure qu'il occupe une à deux fois l'an. Les gardiens appointés de la maison -paisible couple de villageois locaux- se retirent avec une substantielle gratification une fois l'état des lieux effectué, après la cérémonie du thé à la menthe où tous les potins locaux ont été passés en revue. Ils reviendront ce soir, avec le plein de victuailles fraîches pour le frigo.

 

La première tâche de Bruno est de déballer D2 -sans R2- et de lui confier l'inspection électronique de la maison.

Pendant ce temps, les deux humains bougent, déplacent, installent les malles et leur contenu. Le caisson médical est transporté et raccordé à l'installation médicale du rez-de-chaussée, le réveil de son occupant est programmé.

Le compte rendu de D2 effectué, Bruno active l'informatique installée.

-Xia ?”

-Tout va bien Bruno. Cinq minutes pour terminer les tests.”

Toujours la même voix, toujours les mêmes intonations. Comment pourrait-on imaginer que les giga-octets de données qui constituent Xia se sont effacées de la villa péruvienne et ont transitées par vingt-trois bases de données réparties sur le globe avant de se reconstituer ici dans la seconde où Bruno a ouvert la liaison…

 

-Nobru ? Il se réveille…”

 

-Bru… no ? Nasty ? Oullaa…” Tout chancelle. Tout est flou. Maël tombe en spirale dans un puits sans fond sans bouger de la couche qu'il sent sous lui. Il referme les yeux et se concentre sur la surface immobile sur laquelle il repose. Il a du mal à coordonner ses mouvements. Lentement, très lentement, le tourbillon s'arrête. Lentement encore, les informations de ses nerfs lui disent qu'il est encore entier. Peu à peu, il se remet à entendre les bruissements et bourdonnements des appareillages automatisés autour de lui. Puis son odorat, sa peau, l'informent du nouvel environnement. Chaleur, tempérée d'un fond d'humidité. Odeurs, étrangères et embaumantes. Enfin ses yeux se rouvrent, accommodent, s'habituent à la lumineuse clarté provenant d'un extérieur qu'il sent tout proche, sous un ciel qu'il devine bleu et éclatant. Et juste au dessus les visages radieux de Bruno et Nasstasia.

-… Vous allez bien ? Personne n'a été blessé ? Oh mais… j'ai faim, moi !”

 

Cinq minutes plus tard, Maël est installé sur une chaise confortable devant une large table de pierre blanche massive et patinée par les ans. Devant lui, le petit terrain plonge vertigineusement, vers une eau d'un bleu profond qui finit par se confondre dans la brume de chaleur avec des cieux débarrassés du moindre nuage. Entre les deux, quelques navires lourds se déplacent lentement et l'on devine des unités plus légères dont les voiles translucides s'irisent dans la lumière, filant à grande vitesse ou flânant sur la grande bleue.

-La Méditerranée, Maël. La mère de la civilisation occidentale.”

Bruno porte un large plateau débordant de fruits frais et colorés. Nasty arrive avec une carafe d'eau claire et une d’un jus de fruit orange sombre qu'elle pose sur la table à coté de trois grands verres.

Tous deux décrivent au convalescent les heures passées, Bruno terminant par un large mouvement de bras en direction de l’étendue liquide.

 

-Et là, presque en face, Almeria…”