Comment fabrique- t-on une BD ?
le 20/05/2009 à 21:24 | Documentation
Si vous le savez, dites-le nous.
Parce que nous, on galère souvent...
Bon, en fait on a quelques idées de ce qu'il faut faire. Mais ce sont des suggestions tirées de notre expérience. Chacun son parcours, chacun sa vision des choses.
1 : comment débuter
2 : parlons argent
3 : comment Stef Morhain dessine
4 : pourquoi Stef Morhain dessine
5 : des scripts de planches
6 : trois ouvrages à lire
Bon, en gros, il faut un éditeur. A moins d'être déjà riche et de faire de l'auto-édition, il faut une structure qui prendra en charge la fabrication de l'album, sa diffusion et le versement de vos droits d'auteurs.
L'éditeur, qu'est-ce qu'il cherche ? D'abord et avant tout un dessinateur. Pour ce qu'on en a vu, les scénaristes sont encore traités en second.
<Que faut-il lui présenter ? Soit un book avec de nombreuses illustrations, soit carrément le début de l'album si vous en êtes déjà là.
Comment présenter un album ? Cinq à six planches représentatives, plus un résumé de l'intrigue, en une page ça suffit. Eventuellement un descriptif des personnages, aussi brièvement. Si vous préparez déjà une série, une nouvelle page sera utile. Mais faites court.
Alors, un scénariste, ça compte quand même
? Bien sur. Mais surtout pour le dessinateur. Lui et le scénariste
doivent se comprendre, partager la même vision de l'oeuvre
en cours.
Il s'agit d'un échange permanent : le scénariste
porte une histoire en lui, qu'il confie à un autre pour
que celui-ci la mette en forme ; le dessinateur lui est maître
d'un univers visuel, qu'il va devoir plier pour ajuster à
une histoire apportée par un autre. Pas toujours facile.
Et souvenez-vous de ce qu'on dit :
"Le lecteur achète
l'album pour le dessin et achètera la série pour
l'histoire."
Si on décrivait le travail de chacun ?
Etre dessinateur, c'est un sacerdoce : toute la journée sur la planche à dessin, six mois à un an pour faire un album, et l'éditeur vous verse une somme ridicule en échange de votre travail... Il faut avoir la foi !
En comparaison, scénariste c'est un boulot de fainéant. Le temps que le dessinateur fasse un album, le scénariste peut en faire quatre ou plus. Tout dépend du type d'histoire, des recherches nécessaires, de la documentation à fournir.
2)
:
Et si on parlait argent ?
Soyons réalistes : vous n'êtes pas déjà millionnaire, donc vous voulez vivre de vos oeuvres (dans le cas contraire, les sponsors sont bienvenus). Alors comment qu'on fait ? Avec l'éditeur, on signe un contrat. Grosso modo, ça dit que vous êtes le créateur de l'oeuvre, et propriétaire des droits d'auteurs (de toute façon, c'est la loi), mais que vous en confiez l'exploitation à l'éditeur, qui l'accepte (sans blague...). En général, le contrat engage l'auteur pour plusieurs tomes de la même série. En effet, souvent, l'éditeur perd de l'argent sur le ou les premières oeuvres de débutants. C'est sur l'effet de série qu'il se rattrape. Mais, combien qu'on gagne ? Il n'y a pas de règle inflexible. Disons que l'éditeur reverse entre 6 et 12% du prix de vente public de l'ouvrage. Sauf si vous vous appelez Van Hamme ou Uderzo (par exemple..). Donc, les BD valant entre 10 et 15 Euros, ça fait un reversement variant de 0,6 à 2 Euros par album vendu. Ca ne fait pas beaucoup ? C'est vrai. Et c'est encore plus vrai si la somme est à diviser entre scénariste et dessinateur... En général, le scénariste gagne la moitié du dessinateur. Mais comme il peut produire plus d'album dans le même temps... Et quand est-ce que je touche mon argent ? C'est ça qui est drôle : six mois après que l'éditeur ait vendu les albums (Arghhh !!!). Faut le comprendre, le pauvre : il faut mettre en place, se faire payer par les libraires et diffuseurs, compter les invendus, etc, etc... Et les avances sur droits ? Du coup, l'éditeur verse en général aux auteurs une "avance sur les droits à venir". Fixée dans le contrat initial, cette somme est versée au prorata des planches livrées (ça motive), est acquise définitivement à l'auteur (que l'album se vende à 10 ou 100.000 exemplaires), et elle est déduite des futurs droits. Ne rêvez pas : l'avance est ridicule. En bossant comme un stackanoviste vous gagnerez peut-être le SMIC. Pas plus. Et les parutions en magazines ? C'était "l'âge d'or" de la BD, quand Tintin, Pilote, Métal et les autres existaient encore. Avec aujourd'hui beaucoup moins de supports, rare sont les auteurs qui touchent encore cette double "paye". Et les éditeurs le savent, qui (cyniques) disent à leurs débutants : "Je te fais de la publicité en te faisant paraître en magazine, tu toucheras plus de droits sur les ventes de ton album parce qu'il va mieux se vendre, tu seras reconnu dans le milieu, alors franchement, tu ne veux pas vraiment être payé pour cette pub ?". Disons-le tout net : c'est de l'arnaque. Pour chaque Euro que vous toucherez, l'éditeur aussi va en toucher. Ce n'est pas par charité qu'il vous publie, c'est pour son propre bénéfice. Donc il DOIT vous payer la pré-publication. Allez-donc voir les liens sur la page "Droit d'auteur" pour ça.
Publicité gratuite : Gaël & Bocquet
ont publié le bréviaire indispensable du futur
dessinateur / scénariste. C'est drôle, bien foutu,
et vous pouvez contribuer à les rendre riche en l'achetant
(maintenant que vous savez comment ça marche) :
Autre pub gratuite : les Dossiers de la Bande Dessinée
: c'est cher mais les dossiers qui donnent la parole à
des dessinateurs et scénaristes illustres apprennent beaucoup
de choses sur leurs parcours respectifs, et comments ils sont
devenus ce qu'ils sont.
3)
"Ma façon de travailler" par Stef Morhain, dessinateur
de MoonCorp (1/2)
La méthode exposée ici n'est qu'une méthode parmi d'autres, elle n'est ni la meilleure ni la plus mauvaise. Chacun a ses spécificités et doit trouver le procédé qui lui convient le mieux. Le scénariste, ici Yves Le Hir, communique au dessinateur des feuilles sur lesquelles sont inscrites : le N° de planche, et pour chaque case (numérotée individuellement), une rapide description de la scène et les textes ou dialogues de chaque personnages.
Du scénario au story-board :
Toutes les cases de la planche sont décrites de cette manière. Le scénariste fournit également une proposition d'agencement des cases dans la page. Mais comme je suis contrariant, je modifie cette disposition de temps en temps (beaucoup moins que d'autres !!! - Note du scénariste). Pour clarifier la situation, je fais un rapide story-board (qui ressemble pour ma part à un immonde gribouillis), qui me permettra de :
-> vérifier si l'enchaînement des séquences est logique <- -> déterminer l'emplacement et la taille de chaque case <- -> déterminer l'angle de vue et la composition de la scène <- |
Evidemment, tout ça n'est pas rigide. Je peux amener des modifications plus tard. Attention ! Le format de votre planche doit être proportionnel à la page de l'album, suivant une diagonale passant par les deux coins opposés de la feuille de l'album.
Du story-board au croquis :
A partir du story-board, j'exécute un croquis de la case en question. Ce n'est encore qu'un dessin assez grossier, mais qui me permet de définir tous les éléments de la scène.
Du croquis au crayonné :
Je passe à la table lumineuse (un grand mot pour une caisse de vin munie d'une vitre sur sa partie supérieure et d'une ampoule électrique à l'intérieur). Si vous pouvez en avoir une vraie c'est encore mieux, mais c'est hors de prix. Bref, je passe donc sur la table lumineuse pour "décalquer" mon croquis en y amenant plus de détails et de fini. J'essaie de le faire le plus fouillé possible afin de ne pas trop improviser lors de l'encrage. Il m'arrive de recommencer plusieurs fois le crayonné ou d'en faire plusieurs indépendants en fonction de la complexité ou de la densité du dessin.
Du crayonné à l'encrage :
Je repasse à la table lumineuse pour y décalquer sur une feuille de photocopieuse 80 grammes le dessin définitif au crayon à mine bleue (à l'imprimerie, le bleu ne "passe" pas, seul le noir est pris en compte par la machine). Je retourne à mon bureau pour repasser le crayon avec mes feutres (indélébiles, Micron Pigma de chez Sakura) ou au pinceau ou à l'encre de chine, là c'est à vous de voir ce qui vous branche le plus.
Philippe Pellet (Les guerriers, Opale) travaille au Micron Pigma, Haneckhan (Inspector Wang) mélange feutre et pinceau, Jo Diaz (Jerry Mail) taquine le pinceau et le feutre, Didier Tarquin (Les maléfices d'orient, Roq, Lanfeust de Troy) a commencé la saga de Lanfeust au MG Liner (attention ! il n'est pas indélébile !) et a bifurqué (au tome 5 me semble-t-il) sur le pinceau, Jean-Louis Mourrier (Les feux d'Askell, Trolls de Troy) travaille au "stylo-pinceau" Pentel de calligraphie japonaise dont il plonge directement la pointe dans l'encre de chine, Thierry Labrosse (Bugs Hunter, Moorea) travaille avec un instrument étrange que l'on appelle le stylo BIC (et oui, c'est fou non, tabernac' de Caribou), Simon Van Liemt (les ch'tits dessins de Lanfeust Mag) travaille à la plume et au pinceau. |
Le dialogue :
Une fois la case terminée, je place le dialogue (si dialogue il y a) écrit sur une feuille munie de portées bleues. Le texte est d'abord écrit en bleu, puis repassé à la plume. La taille et l'agencement de la bulle sont à prévoir à l'avance ! Sinon problèmes !
Le collage :
Ma case est découpée au cutter en m'aidant d'une règle métallique. Un petit coup de bombe de colle 3M et la case est collée sur un Canson A3. Je colle ensuite les dialogues. Tadaa ! C'est prêt ! Sauf que... ce n'est que la première case, et qu'il y en a d'autres ! Beaucoup d'autres ! Aarghh !
Autre pub gratuite : Le livre de Benoit Peeters, grand
nom de la BD.
Lisez, théorisez, il en restera toujours quelque chose
!
4)
"Ma façon de travailler : Mais encore ?" par
Stef Morhain, dessinateur de MoonCorp (2/2)
Pourquoi la bande dessinée ?
C'est simple, c'est le seul métier qui m'intéressait vraiment et pour lequel j'étais prêt à faire de gros efforts (j'ai fait des études techniques, et j'ai détesté).
Comment y suis-je arrivé ?
En apprenant qu'un atelier s'était monté à Aix en Provence (Stef est de Salon de Provence - note du scénariste), j'ai monté un petit book et je m'y suis présenté. Mais il m'a fallu ensuite un an de boulot quotidien pour signer un contrat ! Heureusement que des gens comme Tarquin ont cru en moi et m'ont donné un coup de pouce. J'ai fini par y arriver !
Où est-ce que je travaille ?
C'est ça qui est bien pour le solitaire que je suis : je bosse à la maison, dans le bazar qui me tient lieu de bureau.
L'investissement personnel :
Il ne faut surtout pas compter ses heures, et oublier les week-ends de repos. J'avoue que pour le premier album je m'autorise encore une certaine "flemmardise" car après, pour le second, l'éditeur me donnera des délais à tenir ! Aïe !
La motivation :
Il est clair que la BD n'est
pas un métier que l'on fait "par hasard". Je
veux dire par là qu'il faut vraiment être motivé
pour le faire, être prêt à vivre pour sa passion,
et non travailler dans une optique purement mercantile. Ne
vous attendez pas à devenir un Hergé, Goscinny
ou Bilal, ou un autre Tarquin. Déjà, parce qu'il
est assez rare d'avoir énormément de succès,
et aussi parce que les médias ne parlent jamais de la
BD moderne et des jeunes dessinateurs.
Contrairement aux jeunes écrivains, les jeunes
dessinateurs de BD ne sont vraiments pas "courtisés"
par les journalistes. En France, qui est pourtant un pays de
tradition "bédéiste", notre travail a
toujours l'air un peu "méprisé".
Mais c'est quand même
rudement agréable
de pouvoir créer des histoires, des univers, des personnages,
et tout ça avec son crayon. Je fais enfin le boulot dont
je rêvais, et ça,
ça n'a pas de prix !
5)
Qu'est-ce que le scénariste livre au dessinateur ?
Jean Wacquet nous livre les scripts des planches 1, 17 et 19 de Coleman Wallace.
C'est un exemple de scénariste
"littéraire" : il décrit la page,
la scène, avant de la découper case à
case. Pour que le dessinateur visualise immédiatement
la structure du script, Jean Wacquet utilise des mises en valeur
différente de son texte : italique, gras, centrage, etc.
Chaque scénariste a sa façon d'écrire. Par
exemple, Arleston écrit sur deux colonnes : image à
gauche, texte à droite, et en plus un feuillet où
il crayonne à la main le positionnement des cases dans
la page.
Yves Le Hir présente le script de la planche 3 de MoonCorp.
mc_script_pl3.pdfVoila ce qu'a reçu le dessinateur. Chaque scénariste a sa façon de présenter, et chaque dessinateur a sa préférence, l'essentiel étant que rien ne prète à confusion. En plus d'une description textuelle, il est préférable que le scénariste apporte à son dessinateur un petit griffonné de la mise en page : sur une feuille séparée, chaque page est représentée, dans laquelle les cases sont dessinées. Même pour le scénariste, c'est un bon outil permettant de visualiser la représentation projetée de ce qu'il écrit.
J.B. Djian présente les scripts des planches 9 et17 de Milane & Arlov Tome 2.
ma_script_pl9-17.pdf
remonter
"L'Art Invisible" de Scott McCloud chez Vertige Graphics toujours. Première édition de 1999, seconde de 2000. Plus théorique que vraiment pratique, mais riche et cultivé. Une fois que vous l'aurez lu, vous serez persuadés que la bande dessinée est un moyen d'expression "intellectuel" à l'égal de la littérature écrite ou du cinéma d'auteur. Vous pourrez militer pour sa reconnaissance par Télérama...
Voila pour aujourd'hui...
Commentaires
Par Ben Haniche le 11/11/2009 à 14:02
Par Yves Le hir le 04/12/2009 à 08:19
Par mohican le 19/06/2011 à 17:15
Par Antoine le 17/06/2013 à 12:16
Par BARDOU le 02/12/2016 à 16:08