Block 108 bis : 11

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« - M. Ulvaeus, nous avons remonté leur piste. » Isolé dans son bureau, contre-mesures en fonction, Bjorn Ulvaeus a pris la communication sur son communicateur très particulier, celui acheté uniquement pour les appels de et vers Armée Privée ™, la corporation militaire dont il a loué les services pour l'assaut sur les Tsilton.

Au bout du fil, un lieutenant dont le nom lui échappe, responsable de l'unité Recherche & Nettoyage qu'il a mis sur la piste de Sidonie Tsilton après que l'équipe d'assaut ait raté son coup lors de l'attaque du Princesse. « Enfin ! » éclate Ulvaeus « Et alors ? »


 

- Je vous confirme que Sidonie Tsilton est protégée par les quatre individus déjà identifiée. Ce sont eux qui l'ont exfiltré de Block 108 bis et ce sont toujours eux qui apparaissent à chaque étape. » Le lieutenant fait apparaître à l'écran les photos et les identités des fuyards tels qu'ils sont enregistré dans la base des locataires du Block. « Nous avons retrouvé leur trace chez White & Right, où ils ont agressé des policiers locaux qui faisaient arrêter le poids-lourd à bord duquel ils se dissimulaient. Puis on les retrouve à un centre commercial pas loin où ils ont encore agressé une bande de comédien pour prendre leurs déguisements et leur place dans une parade, on ne comprend pas bien pourquoi. » A l'écran, photos extraites des vidéos de surveillance du centre commercial.

- Ils sont alors coffrés par d'autres flics de White & Right, une sorte de police parallèle du genre escadron de la mort qui les aurait tous butés s'il n'y avait pas eu une intervention des Forces Spéciales de White & Right. Je dois dire » le lieutenant ralentit son exposé et regarde Ulvaeus dans les yeux « que les fuyards semblent avoir une sorte de don pour se coller dans la merde et en même temps une chance inouïe pour s'en sortir à chaque fois. »

- C'est là qu'on les perd encore une fois. » Ulvaeus a le crâne qui vacille. Non ! Pas encore ! Mais le lieutenant poursuit, imperturbable « Ils se sont fait la malle à bord d'un fourgon de la police de White & Right, un panier à salade qu'on a retrouvé à cinq kil de la frontière, dans une NoBlock Zone, un territoire encore sous juridiction fédérale. C'était il y a deux heures, et nous n'avons pas encore raccroché de piste. C'est moins facile chez les fédéraux. »

Bjorn Ulvaeus est effondré. Cet idiot de faux militaire vient de lui annoncer qu'il a encore perdu la trace de ses cibles et tout ce qu'il trouve à dire c'est « c'est moins facile chez les fédéraux ». Il explose.

- Mais pourquoi est-ce que je vous paie, moi ? Pour renifler du crottin, suivre une piste froide et faire des moulages de chaussures de fuyards, ou pour les retrouver ? Je m'en fous, moi, qu'ils aient agressé des flics ou des zombies hier ou avant-hier. Ce que je veux, c'est les trouver aujourd'hui, c'est savoir où ils seront demain ! Votre boulot c'est de me les retrouver ! Morts ou vifs !


 

Le lieutenant laisse passer l'orage. Il a l'habitude des clients mécontents. Il chasse pour le plaisir de chasser, pas pour le plaisir du client. Et cette traque là commence à lui plaire. Les proies sont inhabituelles, mêlant amateurisme et professionnalisme, affichant aussi de nombreux signes de nervosité. Ils vont encore faire des erreurs et cette fois il sera là avec son équipe. C'est ce qu'il répète encore une fois à Ulvaeus avant de mettre fin à la conversation.


 

Après avoir coupé la communication avec Ulvaeus, le lieutenant Massa cherche des yeux le sergent Dagay qui coordonne les éléments dispersés. « Toujours rien, monsieur. Les équipes fouillent chaque station d'énergie, chaque résidence abandonnée, chaque cabane de jardin et même les niches du voisinage mais toujours rien. On est sur les fils d'info de toutes les agences de presse, sur chaque hôpital du secteur, on les aura. »

Massa sort de l'antigrav et contemple le parking où les policiers de White & Right sont toujours en train de passer leur fourgon à la moulinette à indices. Empreintes, cheveux, ADN, odeur, ils y mettent les moyens. On les sent un peu énervés.


 

Autour d'eux, le ruban noir et jaune de la police communale. Une seule équipe, plus pour empêcher les flics de White & Right d'aller fouiner ailleurs que pour empêcher qu'on n'altère les éventuels indices.


 

Les relations ne sont pas des meilleures entre les polices des blocks et la police municipale sous payée. Alors il ne reste aux communaux que la joie d'interdire aux policiers de White & Right de poursuivre leur enquête sur un territoire libre.


 

Pour l'antigrav d'Armée Privée ™ par contre, il n'y a pas de problème. Quelques billets ont suffit pour que les municipaux ne s'occupent pas d'eux. Après tout, tout le monde a le droit d'aller et venir, non ?


 

C'est pareil dans les hôpitaux. La santé publique est tellement à court de fonds qu'il y a toujours quelqu'un qu'on peut payer pour accéder aux données recherchées.


 

Et pourtant c'est aussi en territoire fédéral que le lieutenant a l'habitude de rencontrer les idéalistes les plus bornés. Ceux qui refusent encore l'idée que le monde a changé. Ceux qui croient qu'un gouvernement doit s'occuper de tous, doit réguler l'économie de la société, ceux qui croient que les improductifs ont leur place dans le système. Ceux-là ne répondront jamais aux équipes de recherche du lieutenant.


 

Dans son esprit, Massa revoit ce que les recherches sur zone ont permis de certifier : les fugitifs sont arrivés ici à cinq, ils sont sortis du fourgon, on a des odeurs et des traces de pisse qui le certifient, puis ils sont montés dans un véhicule stationné là, sur lequel on n'a aucune information sinon qu'il est gros et à roues, et puis plus rien.

L'enquête de voisinage n'a pas permis d'identifier ce véhicule, le propriétaire ne s'est sans doute même pas encore rendu compte du vol. A moins qu'il ne soit dedans ? Massa n'écarte aucune hypothèse.


 

Autour du parking, c'est une zone résidentielle avec de nombreux bâtiments bas d'un ou deux étages, des sortes de rectangles ou de cubes empilés les uns sur les autres, dans des tons ocre ou pastel, souffrant de mauvais vieillissement. Les pelouses communes sont piétinées, les arbres souffreteux ne sont pas coupés de l'année, les revêtements des voiries montrent nids de poules et mauvais raccord, les enduits de façade mériteraient d'être refaits, les voitures ne sont pas neuves et pourtant il y a ici un calme apaisant. Sous le ciel bleu parcouru de moutons blancs et éclairé d'un doux soleil il semble que la vie passe au ralenti.


 

Massa se secoue. Il n'est pas là pour faire la sieste, il est là pour pousser au cul sa troupe de feignants et faire honneur à Armée Privée ™. Une réputation ça a un prix, celui que paie Ulvaeus en ce moment, mais une réputation ne tient que sur des résultats. Il se tourne vers l'indicateur sur l'écran qui lui annoncera que Charles Tsilton a été retrouvé. De ce côté-là non plus, aucune nouvelle neuve.


 

Il remonte dans l'antigrav et fait signe au pilote de décoller. Puisque la destination des fuyards c'est ZéphyrOne, il va survoler la piste la plus plausible, en espérant que cette fois le groupe suivra une trajectoire logique.


 


 

Loin, très loin de là, Charles Tsilton a reposé le petit communicateur sur lequel il vient de suivre l'échange entre Ulvaeus et le lieutenant et se tourne vers sa fidèle Alberte. « Toute communication passée à travers un outil informatique peut être interceptée et écoutée, et si elle est cryptée il existe quelque part un outil pour la décrypter. » Une pause. « Surtout si elle passe dans des ordinateurs de One Corp. Ulvaeus n'a jamais connu ton existence, Alberte, il n'a jamais su que les travaux des unités de recherche t'avaient donné le jour. » Nouvelle pause. Allongé dans une couche médicalisée, Charles Tsilton parle à une grosse boite noire à roulette connectée au réseau informatique de la chambre. Sur la face supérieure de la boite, un hologramme représente le visage d'une femme âgée. Alberte.


 

Tsilton ferme les yeux pour se reposer. L'assaut auquel il a survécu de justesse a bien failli lui être fatal, il est encore faible. Il regarde une dernière fois l'image d'Ulvaeus sur le petit écran qu'il tenait en main « Tu ne perds rien pour attendre, Ulvaeus. Je n'ai pas su voir que tu me trahissais, mais lorsque je reviendrais tu seras le premier à payer. »