Nasty, Maël & Bruno : 09

 

 

CHAPITRE IX

 

 

 

 

- Et maint’nant, Boss ?”

C’est la première question que pose l’eurasienne après la disparition du Ranger de l’autre coté de la douane de la Tour.

-Maintenant ? Je rentre à la maison. Et vous allez pouvoir faire de même.”

-Enfin ! ‘pas trop tôt.”

 

-Mais !… d’abord, je vais régulariser vos situations administratives officielles. Pas question de laisser dans la nature des gens aussi voyant que vous deux. D’accord ?”

-No prob’. Tu m’donnes c’que tu veux, pourvu qu’j’puisse rentrer.”

 

Le trajet vers Sorong - la plaque tournante Indonésienne des activités liées à la Tour- est bref mais intense en discussion. Maël refuse obstinément d’avoir à changer de nom, d’identité, de vie. Il veut rester Maël Schlösser, de la famille Schlösser, de Portland, G.US of A.

Refus de Maël. Arguments de Bruno. Huile sur le feu par Nasty. L’informaticien campe sur ses positions. Il n’est pas prêt à disparaître. Il a une famille, des amis. “Normaux”, précise-t-il. Bruno engage le débat sur le terrain logique. Duncan Chalk a toutes ses coordonnées. Il connaîtra son retour à l’instant où Maël réapparaîtra chez lui. Nasty titille le jeune homme. Le traite d’incapable de changer. Maël se bloque. Bruno écarte Nasty, tente de reprendre la conversation. Rien à faire.

 

-OK, tu vas rester Maël Schlösser.”

Ils viennent d’arriver dans leur suite d’un des nombreux hôtels anonymes pour businessperson de la cité. Bruno s’avoue vaincu.

-Nous allons préparer un contrat de rupture entre toi et la SilverChalk. Un contrat digne des transfuges des meilleures Corps. Tu vas t’engager à ne te livrer à aucune activité pouvant nuire aux intérêts de la SilverChalk ; à ne révéler aucune information que tu aurais pu avoir à connaître lors de ta période sous contrat avec eux. En contrepartie, toute action intentée officiellement par la SilverChalk devra être visée et surveillée par une instance étatique. Toute disparition ou tout accident suspect provoquera automatiquement ouverture d’une enquête dans laquelle ton ex-employeur sera impliqué. C’est lourd, mais c’est ce qu’on peut trouver de mieux en ce moment dans l’arsenal législatif de ton pays -j’ai déjà eu à l’utiliser-. Une IA d’assistance légale va nous préparer ça au mieux. Alors. Content ?”

-Ça me va. Non, tu comprends, je ne suis vraiment pas comme vous deux. Je ne saurais pas me débrouiller autrement. Merci de tes efforts.”

 

-Bon, Nasty.” Bruno se retourne vers l’autre extrémité de la pièce où la jeune femme s’est exilée. “A toi maintenant. Au moins, ça ne te dérange pas de changer d’identité. Je sais que “Nasstasia Kamaninsky” existe encore, n’est pas déclarée décédée en East-Euro, et n’est pas recherchée officiellement par une force de police, mais je n’ai rien d’autre. Pas encore eu le temps de faire de vrais recherches.”

Geste de la main de l’intéressée “pas grave”.

-Donc… connais-tu la ville de Tiksi, en Sibérie ?”

-Jamais entendu parler.” L’eurasienne est affalée dans un des larges fauteuils aux couleurs faussement locales.

-Normal. Elle n’a rien de spécial, jamais fait parler d’elle publiquement. Sauf il y a vingt ans, quand un groupe de terroristes a pris pour cible son Hôtel de Ville. Leurs motivations avaient été jugées totalement stupides, en regard des dégâts, mais leur action avait été extrêmement bien menée. Destruction physique d’une grande partie du bâtiment, des banques de données qui y étaient contenues. Également de la majorité des sauvegardes de ces banques de données, stockées en divers points du territoire Sibérien. Ce point n’avait pas spécialement été l’objet d’une grande attention, puisque tout a pu être reconstitué grâce aux bases intactes. On s’était beaucoup plus occupé des dégâts physiques.”

-Tu n’veux pas en arriver direct’ment au but ?” Bâillement profond. “L’histoire de la Sibérie et d’ses fondus…”

-D’accord. Ces “terroristes” n’en étaient en fait pas. Toute leur action avait été montée soigneusement dans un seul but, monnayé très cher dans le milieu illégal. Les databases “intactes” ont en fait été modifiées juste avant ou après les faits, pour enregistrer un certain nombre de naissances. Plusieurs centaine, je crois. Et ces noms, ces gens imaginaires, ont été revendus à bon prix à quelques… organisations en quête de vrais documents.”

-Mhmm…” L’informaticien intervient. “Je connais cette histoire ! On a toujours dit que cette série d’attaques -une dizaine, non ?- était l'œuvre d’anti-technos. Des gens qui agissent au nom de la fin du fichage systématique, au nom du retour au contrôle manuel…”

-C’était bien leur couverture. Mais j’ai rencontré un des membres de l’équipe, je peux t’assurer qu’ils se sont fait là-dessus quelques millions de Sol. Donc, pour en finir, j’ai pu acquérir il y a longtemps déjà l’un des noms de personne de Tiksi. Voila ta nouvelle ID, Nasty. Olga Natalia Egorov. Soigneusement entretenue, plus vraie qu’une vraie. Le temps d’un contact avec l’I… l’entité qui la gère, et tu renais.”

-Cool Nuke ! Et les brouzoufs ?”

-Une carte de libre-crédit avec quelques dizaines de milliers de roubles. Ce que j’aurais du donner à Karma, en fait. Mais soyons clair. Je ne fais pas ça pour tes beaux yeux. C’est une assurance pour ma tranquillité. Et tu me seras redevable si j’en ai besoin. Deal ?”

-Deal.” La voix de Nasty a sonné haut et clair dans la pièce. Les mains levées des deux parties claquent, se serrent fermement.

 

Deux jours, plusieurs examens médicaux et une nouvelle suite d’hôtel plus tard, Bruno distribue les cadeaux.

-Maël, une ID définitive, une carte de libre crédit pour les menus frais, un double imprimé du contrat de séparation d’avec la Chalk, et son mémocube original. J’ai fait vérifier tes comptes bancaires, ils semblent corrects et approvisionnés.”

-Nasty, une ID définitive, une carte de libre crédit pour les menus frais, quelques cartes légales diverses, et une carte de la Novo S-Bank. Un compte approvisionné t’y attend.”

 

Chacun se regarde, chacun s’apprête à parler…

-Dernière chose.” Il leur tend une petite carte grise zébrée de bleu pâle. “Carte d’appel. A n’utiliser qu’une fois, et pas pour rien. Une minute d’enregistrement audio -vous appuyez sur “recording”-. Transmission du message -vous appuyez sur “sending”-. C’est garanti fonctionner en n’importe quel point couvert par le réseau comm mondial. Communication pré-payée. Je saurais où vous êtes, et je recevrais le message sans que l’on puisse le tracer. Au cas où…”

 

-OK. J’prends tout.” Nasty empoche l’ensemble dans son blouson de novo-cuir acheté aux puces la veille. Elle ajuste sur ses épaules un sac à dos léger contenant l’ensemble de ses possession et se tourne vers Bruno. “T’as été réglo. T’pourras compter sur moi. Si tu m’r’trouves. Schlö-boy…”

Elle se plaque contre lui et emmêle sa langue avec la sienne -longuement-.

-J’pense pas qu’tu dures longtemps. C’tait mon cadeau d’adieu. Adios, amigo.”

 

Elle traverse la pièce, et disparaît de l’autre coté de la porte d’entrée qui se referme en coulissant silencieusement.

 

-Maël, je te laisse la suite. Elle est payée jusqu’à la fin de la semaine. Profite de ton temps. Prends des vacances avant de rentrer. Bronze, amuse-toi, change-toi les idées. Adieu, informaticien.”

Les deux hommes se serrent longuement la main, puis Bruno attrape son sac de voyage et disparaît également.

 

L’américain se retrouve seul. Il s’assied au fond d’un fauteuil tourné vers la large baie vitrée et le paysage des toits de Sorong, s’adosse confortablement et allonge les avants-bras sur les accoudoirs.

-Bon. Je fais quoi, moi, maintenant ?”