Walt

 

 

Aujourd'hui, Walt était amer. Très. Depuis ce soir, il y a un an, où il s'était fait tirer dessus par cette bande de racaille, rien n'allait plus. Pourtant il avait cru tout prévoir. Il savait que ce serait dur, mais finalement le plus dur avait été de ne pas mourir.

 

Aucune des nombreuses balles tirées par ces abrutis n'avait été mortelle. Graves, très graves mêmes, mais pas mortelle. Ces idiots tiraient aussi mal qu'ils vivaient, c'est tout dire.

 

Et Walt était résistant, malgré son âge. En tout cas c'est ce que lui avaient dit à de nombreuses reprises les médecins étonnés de sa robustesse et de sa vitesse de rétablissement. Dieu sait pourtant que Walt n'en voulait plus, de cette vie, de ces douleurs. Mais son corps avait décidé de tenir bon, comme il le faisait depuis tant d'années.

 

Bien sur, lui avaient dit ces mêmes médecins, les balles avaient causés des dégâts irréparables. Les séquelles seraient permanentes. Et voilà Walt diminué, assis dans cette chaise roulante, affecté de douleurs en permanence, incapable de se laver seul, incapable de marcher, de monter ou descendre un escalier, incapable de conduire sa Gran Torino.

 

Celle qu'il l'avait laissé au gamin, qui la lui avait rendu un petit matin avant de disparaître. Boulot trop dur, il n'avait pas tenu et avait préféré partir plutôt que d'affronter Walt. Le gamin avait traversé les US pour tenter sa chance sur l'autre côte, hébergé par d'autres membres de la communauté. C'est sa sœur qui le lui avait raconté, elle qui venait encore le voir et parler avec lui des petites choses du temps qui passe, quand elle avait la force de sortir de chez elle.

 

Celles que Walt voyait tous les jours, c'étaient les braves grands-mères, ses voisines, qui le levaient tous les matins, le lavaient, et l'asseyaient dans son fauteuil à bord duquel il faisait des allers et retours dans son petit rez-de-chaussée. Dans l'après-midi, il avait droit à la visite de l'infirmière prise en charge par sa mutuelle, qui lui faisait une série d'injections vite fait avant de disparaître ; et deux fois par semaine à la visite de ce kiné qui le massait, le pliait, le dépliait, bref lui faisait du mal pour lui faire du bien.

 

Oh, même ça n'avait pas été facile à mettre en place. Il avait bien compris que cette mutuelle, à laquelle son entreprise avait cotisé pour lui pendant des années et des années, qui avait été rachetée par d'autres groupes plus gros et plus financiers, cherchait tous les moyens pour ne pas s'acquitter de ses obligations. Foutu 21e siècle, s'était dit Walt mille fois lorsque ses fils lui expliquaient les nouveaux documents à fournir, les nouveaux examens à passer.

 

Ses fils et leurs familles, qui mille fois aussi avaient tout tenté pour qu'il intègre une maison de retraite médicalisée. « Un mouroir » répondait Walt à chaque fois. Un mouroir qui aurait en plus exigé la vente de sa maison pour couvrir les frais. Alors, Walt avait accepté l'aide quotidienne de ses voisines et le passage en coup de vent de cette infirmière fatiguée.

 

L'intransigeance de Walt sur son logement avait fatigué ses fils, leurs relations avaient failli en revenir à cette agressivité qui était leur avant les événements.

 

Et les démêlés judiciaires avaient pesé leur poids également.

 

Après la fusillade, tandis que Walt était emmené dans l'ambulance, les membres de la bande étaient embarqués par la police. Pendant sa convalescence, Walt s'accrochait à l'idée qu'ils allaient finir en taule, que le quartier serait débarrassé de cette engeance.

 

Mais les flics avaient tellement mal fait leur boulot, que tout était allé de travers.

 

D'abord, tous les membres de la bande avaient balancé leurs armes avant de se faire coffrer. Et les flics avaient tellement bâclé l'enquête que plus personne ne savait qui avait tenu quelle arme.

Les résidus de tirs sur les mains ? Ils en avaient tous. Qui tenait quelle arme ? Ils refusaient de le dire, et ils avaient le droit de ne pas s'auto-incriminer. L'ADN sur les crosses ? Certaines armes portaient plusieurs ADN. Et les avocats avaient fait refaire les expertises, qui avaient démontrées que deux analyses avaient été inversées par le labo de la Police. Suspicion générale sur les méthodes policières.

 

Et finalement, les avocats avaient réussi à tout basculer cul par dessus tête. Parce que c'est eux qui avaient déposé plainte contre Walt.

 

Et au lieu d'une bande de racailles qui tentaient de tuer un honnête travailleur retraité, on avait eu au tribunal une bande de jeunes immigrés défavorisés rejetés par la société et qui se faisaient agresser par un vieux blanc réac et facho.

 

Tous les témoins de Walt, ses potes de tous les jours, s'étaient fait démonter par les avocats. Tout ce que Walt avait pu dire pendant des années s'était retourné contre lui. La défense avait réussi à mettre la main sur toutes les bonnes consciences du quartier qui n'osaient pas dire du mal des étrangers, tous les hypocrites que Walt avait rembarré, tous les connards que Walt n'avait traité que comme ils le méritaient.

Bien sûr, le prêtre avait témoigné en sa faveur. Mais à la façon d'un prêtre. En ne mentant pas sur les défauts de Walt. Et les avocats avaient démonté Walt.

 

 

Et parce que Walt ne pouvait se payer qu'un avocat commis d'office, qui était moins pugnace que ceux d'en face, tout ça avait impressionné le jury.

 

Et les avocats des tireurs avaient réussi à placer leur meilleure carte, celle de la légitime défense. Ils avaient reconstruit l'histoire, remonté le film des événements. Et on voyait apparaître à l'écran du tribunal un vieux raciste, armé, qui pointait son gun sur tous les non-blancs, un espèce de vigilant, qui titillait les jeunes pour leur faire peur et imposer sa loi du chacun chez soi.

 

Et ce soir-là, ce fameux soir, lorsque le vieux qui avait toujours mine de leur tirer dessus et avait déjà brandi une arme plusieurs fois s'était fixé devant l'immeuble de la bande, les jeunes avaient cru qu'il allait tirer, pour de bon. C'est pour ça qu'ils avaient pris peur et avaient tiré lorsque celui-ci avait fait mine de sortir son arme de son blouson. « Pourquoi étiez-vous là ce soir, pourquoi n'êtes-vous pas resté chez vous ? » voilà une de leurs phrases favorite. « Une tragique méprise, votre Honneur. Une provocation, mesdames et messieurs les jurés. » avaient plaidé les avocats.

 

Blanc raciste contre immigré pas intégrés, voilà le terrain sur lequel la défense avait placé le débat.

 

La pauvre gamine qui s'était faite agresser, celle pour laquelle Walt avait déclenché tout cela ? Traumatisée, la pauvre n'avait pas été très éloquente lors du procès. Les avocats de la bande avaient su glisser quelques allusions (rejetées par la Cour, mais qui entendues par le jury) sur la conduite de cette jeune fille, sur la vraie raison des actes de Walt, sur la vraie nature de leurs relations...

Alors, oui, ses agresseurs avaient été condamnés, mais à des peines finalement légères.

 

Et les médias avaient sauté sur l'affaire, évidemment. Les passions s'étaient déchaînées. Partisans de l'ordre contre défenseur des droits individuels. Racistes et anti-racistes de tous bords. Ligues féminines et ligues de moralité. Des émeutes de soutien aux jeunes avaient éclaté. Des descentes d'honnêtes citoyens suivis de lynchages avaient eu lieu. Des reportages, des reconstitutions, des téléfilms, on parlait même d'un film avec un grand réalisateur.

 

Alors quand il avait fallu prononcer des condamnations individuelles, plus personne n'était responsable. « Celui-là précisément ? Ah, on ne peut pas exclure qu'il ait eu peur. Et même si sa balle a touché, on ne peut pas certifier qu'il ait voulu tuer. Il se défendait. » Et ainsi de suite.

 

Bon, les jeunes ont été condamnés, peines qui s'ajoutaient à celles prononcées pour l'agression, tant mieux. Mais pas de condamnation pour avoir tenté de tuer Walt. Pour ça, relaxe générale. Les sanctions ont été prononcées pour des délits mineurs. Possession des stupéfiants qui se trouvaient dans la maison. Conduite sans permis. Recels de vols des produits retrouvés chez eux.

 

Alors depuis, Walt est amer. Très amer.

 

La dernière douceur dans sa vie, c'était la gamine, celle pour laquelle il avait fait tout ça. Blessés par la vie, ils se comprenaient. Quelques phrases banales. Quelques sourires qui disaient à Walt qu'il avait bien fait. Quand il avait trop mal, elle prenait sa main. Quand elle pleurait, il la prenait contre son épaule.

 

Ce serait long, mais elle se reconstruirait. Il l'aiderait. Il tiendrait jusque là.

 

 

 

 

Postface : pourquoi ce texte ?

 

Parce que j'ai toujours trouvé que faire mourir un personnage, c'est garantir à l'auteur du sentiment à pas cher. Parce que c'est une méthode de scénariste qui élude les problèmes. Parce que c'est une façon facile de clore une histoire.Parce que si on résolvait les problèmes de société en arrêtant les gens, ça se saurait.  Alors, même si je n'ai pas pu m'empêcher d'avoir une fin optimiste, je voulais exprimer ma façon de penser (comme le dit un grand philosophe de ce siècle).

 

Commentaires

Par Han le 17/07/2012 à 17:36

Salut mon ami ,
merci pour le com te souhaite de meme ;)

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